2-Les Pardons en Bretagne du Moyen Âge à l’ère moderne

Le premier pèlerinage aurait eu lieu à Ste Anne La Palud dans le Finistère actuel, et selon la légende, dès la destruction de la ville d’Ys ! Peut-être le premier pèlerinage et pardon d’Armorique puisqu’on en trouve trace réelle au IXème siècle, avant les croisades !

Au moyen-âge, les paroisses bas-bretonnes étaient divisées en quartiers, « frairies » ou « confréries », trêves, dans lesquels les personnes se devaient aide et assistance, avec une attention particulière aux malades, veuves et « indigents », Cette organisation autour des quartiers étaient typique de la Basse-Bretagne (territoire du parler « breton »), se différenciant ainsi de la Haute Bretagne, plus marquée par une influence gallo-romaine où le centre était la paroisse. Chaque confrérie se mettait sous la protection d’un Saint des VIème ou VIIème siècle qui était supposé y avoir vécu et bâtissait une chapelle, centre spirituel du quartier. Le culte marial était aussi très présent, le nombre de confréries vouées à Marie (Rosaire, Pitié, Douleurs, Bonne Nouvelle…) s’est multiplié grâce aux bulles d’indulgences accordées, peut-être aussi en raison de culte marital persistant dans toutes civilisations et religions.

Une (ou deux) fois par an, les habitants se réunissaient pour se donner le pardon des déchirures et des affronts. C’était une fête religieuse qui commençait par une procession ouverte par la croix, les bannières et les reliques du Saint local, puis les fidèles assistaient à la messe, aux vêpres ; on faisait un feu de joie pour brûler les offenses et la journée prenait fin dans une fête populaire. Le Pardon était avant tout une fête patronale à vocation pénitentielle

Job An Irien rappelle que les Celtes célébraient leurs rites dans des clairières en lien avec la nature aux moments les plus importants de l’année ; les Romains élevaient des Temples pour protéger la statue du dieu ou de la déesse et le peuple restait à l’extérieur ; les chrétiens ont choisi un modèle d’édifice public où le peuple pouvait se rassembler.

Dans ces périodes marquées par les guerres, les nombreuses épidémies, de fortes intempéries aussi, le peuple a beaucoup souffert. Il attribuait tous les méfaits de la nature à des pénitences divines. Il a sollicité et obtenu des bulles d’indulgences qui ont permis la construction (ou reconstruction) en dur de nombreuses chapelles. Le Pardon s’est institué en tradition où il convenait d’accomplir certains rites (autour des fontaines, par exemple, considérées comme fontaines de guérison, particulièrement le jour du Pardon.). Et le lieu était la Chapelle du quartier, la date de célébration en lien avec la nature. Plus qu’ailleurs, la religion et ses pratiques ont contribué à la formation et à la transformation des communautés : les corporations qui représentent le lien entre religion et communauté à l’époque médiévale sont constituées selon des critères sociaux et de sexe ; femmes et hommes sont séparés, les nobles occupent des places distinctes, les hommes discutent aussi « affaires »…

Si la tradition des Pardons est très ancienne, et s’est appuyée sur des croyances et légendes, plusieurs faits historiques influenceront leur pratique:

  • Le sanctuaire du Folgoët doit sa renommée à Anne de Bretagne qui y vint à 4 reprises fin du XVème siècle à la suite de « miracle » attribué à Salaun ar Foll en ce lieu, et aussi en remerciement de la guérison de Louis XII.
  • Au tout début du XVIIème siècle, les chapelles connaitront une désaffection presque totale. La population prend plus de distance avec le culte. Elle reproche aux gens d’Église leur ignorance et leur cupidité ; une forme de « concurrence » néfaste entre le clergé séculier (en général choisi par la noblesse) et les ordres mendiants perturbe le message religieux. Ceci a pu être observé après les guerres de religion en plusieurs lieux, mais de manière plus nuancée vers l’Ouest, en raison de son éloignement et aussi d’une certaine proximité entre le peuple, la petite noblesse et le clergé : ceci semble avoir accru le sentiment de solidarité et modéré les tentations d’exclusion, observées ailleurs.
  • Le lancement du pèlerinage de Ste Anne d’Auray en 1625 (à la suite de la découverte « miraculeuse » d’une statue de la sainte constituera un évènement déterminant : le pèlerinage traditionnel qui comportait une partie « festif » importante devient surtout un pèlerinage de dévotion marqué par l’encadrement clérical sous l’influence de Michel Le Nobletz. Pourtant l’évêque de Vannes ne l’assuma qu’à compter de 1632 en raison des réticences d’une partie du clergé face à cet essor de la piété pèlerine, très réservé sur la réalité des « miracles » annoncés.
  • Les dernières décennies du XVIIème semblent calmes et équilibrées, entre l’attente des réformateurs (exigence de dévotion et de rupture avec les rites dits « païens ») et les partisans des pratiques coutumières. Les dévots sr déplacent moins dans les grands pèlerinages, préférant faire des offrandes à leurs paroisses ou à des confréries proches. Des rites et coutumes différentes apparaissent selon les sanctuaires : on prête des vertus particulières à chaque fontaine proche…
  • Au XVIIIème siècle, la dévotion pèlerine connaitra un regain de ferveur grâce à l’octroi d’indulgences accordées par Rome (contre actes de dévotions et non contre versement d’offrandes !). Ce siècle sera un temps fort de la transformation religieuse. Les revenus des chapelles de la Basse-Bretagne étaient devenus très importants : les évêques sont intervenus pour recentrer ces revenus autour des paroisses. Une partie des chapelles disparaitra progressivement, mais à un degré nettement moins élevé qu’en Haute-Bretagne.
  •  La sinistre loi Le Chapelier en 1791, publiée pour interdire syndicats et corporatismes de tout genre, supprime aussi le droit d’association et les confréries, elle oblige à la fermeture des chapelles
  • Le concordat entre Napoléon et le Pape Pie VII en 1801 accroit le rôle du curé (ou recteur) et tente de mettre fin aux querelles entre partisans de l’Église réfractaire et l’Église constitutionnelle.
  • La loi de séparation de l’Église et de l’État en 1905 introduit la nationalisation des églises, chapelles et des biens mobiliers : le soin des lieux en revient aux communes, les conseils de fabrique (qui géraient les biens et registres) disparaissent.
  • Parallèlement, l’émigration des populations rurales vers la ville sera à l’origine d‘une perte d’influence de la religion et d’un « désamour » des chapelles. La moitié restera en Basse-Bretagne, (Diocèses de Quimper, Saint Pol de Léon, Tréguier, Vannes) les trois quarts disparaitront en Haute-Bretagne !

La fréquentation des chapelles a connu des phases différentes dans le temps; les clivages entre Basse-Bretagne et Haute-Bretagne se sont maintenus. La population s’est appropriée le fait pèlerin et la pratique des pardons, en résistant partiellement aux tentatives de récupération des ecclésiastes. Les cérémonies sont en lien avec la nature mais elles sont nées des indulgences accordées et des « guérisons » attribuées et non des rites druidiques d’antan !

à suivre: le renouveau des Pardons en Bretagne