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Saint Jaoua

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Vie de Saint Jaoua

Plusieurs versions de la vie de Saint Jaoua cohabitent. Elles nous renseignent sur celui que la piété populaire sanctifia avant d’être très tardivement – en même temps que tous les saints fondateurs et évangélisateurs de l’Armorique – élevé à la dignité de Saint par l’Eglise catholique. Elles ont évolué selon la période à laquelle elles ont été écrites, les influences de leurs auteurs et leurs motivations : tous souhaitaient présenter une version qui pourrait instruire les chrétiens de leur époque.

Vie de  Saint Jaoua écrite au IX° siècle par Wrmonoc

 

En 884, ce moine de Landévennec, sur les ordres de son abbé Wrdistin, rédigea en latin la vie de Saint Paul-Aurélien. Le manuscrit a été publié par Dom Plaine dans les « Analecta bollandiana » en 1882.

Cet écrit raconte la vie, au Pays de Galles, de Paul Aurélien qui sera le premier évêque de Saint Pol de Léon, au VIe siècle ; puis de son émigration en Armorique, avec des compagnons, dont Jaoua précisément, jusqu’à son décès à l’Ile de Batz.

En trois occasions, son texte parle de Jaoua :

Tout d’abord, il indique le nom des prêtres qui accompagnaient Paul à leur arrivée sur l’île d’Ouessant, et parmi eux Jahoevius :

« Nous avons jugé qu’il fallait transcrire ici les vocables des prêtres seulement, que nous savons par des écrits ou par des récits, avoir été présents dans le groupe qui accompagnait Paul. Il s’est avéré que leur nombre était de quatorze, si l’on ajoute Quonocus, que d’autres appellent Toquonocus, avec une addition selon l’usage de la population d’outre-mer, et qui accomplissait sur l’ordre de Paul, la fonction de directeur pour les autres, en raison de la qualité de sa vie et sa connaissance de la sagesse, et aussi un diacre, du nom de Decanus. Le premier d’entre eux était Jahoevius, ensuite Tigermaglus, qui tous deux accomplirent la fonction d’évêque, sous la protection de Paul, comme ce sera exposé dans la suite, si Dieu le permet. Ensuite Toseocus qui était nommé Siteredus et Woednovius, qu’on appelait aussi d’un autre nom, Towoedocus ; et Gellocus et Bretowennus et Boius ; ensuite Winniavus et Lowenanus, et aussi Toetheus, dit aussi Tochicus, Chielus, et Hercanus que l’on appelait d’un autre nom, Herculanus. L’ancienneté effacée l’a fait disparaître pour nous, ou bien la torpeur mauvaise de la négligence, sœur de l’inaction, nous empêche de voir de quels éclats de lumière ils ont brillé ; néanmoins, il nous a été agréable d’illuminer cet ouvrage de leurs noms, comme autant de perles, car nous savons qu’il y a des tombeaux et des églises importantes édifiés en leur honneur, et qu’ils vivent, plein de mérites, auprès du Seigneur ».

Ensuite, après l’arrivée du groupe dans le lieu nommé Talmedovia (Ploudalmézeau), il mentionne l’épisode du bœuf sauvage venu importuner Jaoua (appelé ici Junehinus) :

« Pendant que Paul-Aurélien demeurait au lieu nommé Villa Petri (Kerber en Lampaul Ploudalmézeau), plusieurs des siens, parcourant tout le domaine se construisirent des cabanes dans des endroits plus retirés. Un de ceux qui s’en allèrent ainsi le plus à l’écart fut le dénommé Junehinus, que tous appelaient « l’ermite »… Il trouva une source très limpide avec du sable très blanc, environnée de bois très épais et de grandes terres… Là, tout joyeux du lieu et de la qualité de l’eau, il commença à habiter dans la toute petite cabane qu’il avait construite.
Un bœuf sauvage qui remplissait la panse de son ventre de bête sauvage dans les terres incultes voisines et les gras pâturages, avait l’habitude de venir tous les jours à la source pour étancher sa soif en buvant l’eau au ruisseau. Tout le monde, par crainte de lui, s’enfuyait. Il vint donc selon son habitude, et démolissant jusqu’à terre la construction toute entière de la cabane, il l’étendit sur le sol, et après l’avoir foulée aux pieds, il la dispersa un peu partout de ses cornes ; puis il s’en retourna jusqu’à ses propres quartiers avec des beuglements effrayants.
Mais le serviteur de Dieu pressentant que c’était l’oeuvre de l’ennemi, ne céda pas à l’adversaire ; mais il se dressa lui-même contre l’ennemi en renouvelant l’ouvrage. Le deuxième jour, l’animal vint de nouveau et démolit tout ce qui avait été refait ; le troisième et le quatrième jour, il fit pareil avec la même fourberie. Junehinus prend soin de faire connaître l’affaire à son maître ; il lui demanda de venir lui-même et de repousser l’inimitié du cruel adversaire.
Satisfaisant à sa demande, il arrive sur les lieux, et remarque aussitôt l’agrément de l’emplacement qui lui plaît beaucoup : « Junehinus, frère bien-aimé, si tu le veux bien, ce lieu sera à moi, et la mien sera à toi »… Sur ces entrefaites, tandis qu’ils conversaient l’un avec l’autre, la bête sauvage arrive selon son habitude. Aussitôt que, venant de loin, elle aperçoit Paul debout devant l’entrée de la cabane, remise déjà de nouveau en état, elle avance toute tremblante et effrayée. Se prosternant trois fois à ses pieds, la tête baissée vers le sol, elle fléchit les genoux comme si elle demandait pardon du forfait commis, et comme si on lui avait enseigné cette façon de faire dès ses premières années. Le saint homme, sans plus tarder, donne le pardon à la bête qui a montré devant lui son regret, et lui dit : « Je te pardonne ; va en paix, mais garde-toi bien de revenir jamais plus ici ». Elle baisse à nouveau la tête comme pour dire adieu, retourne à son lieu et elle s’établit dans les endroits les plus retirés des bois, de telle sorte que, dit-on, elle n’a jamais été revue en ce lieu  ».
Jaoua est donc nommé de deux façons différentes  : Jahoevius (qui a évolué plus tard en Jaoua, parfois Jaoue) et Junehinus (qui a évolué en Jaouen). C’est de ce deuxième nom que dérive celui qui est inscrit sur son tombeau dans la chapelle (Ioevin).

Enfin, il écrit que Saint Paul, parvenu à un grand âge, nomme Jaoua (ici Jahoevius) pour le remplacer dans sa charge d’évêque :

« Alors donc que toute l’Église à travers la région chantait en toutes choses par les bonnes œuvres à la manière d’un orgue bien construit, le saint homme déjà accablé par la vieillesse établit l’un de ses disciples, du nom de Jahoevius, pour s’acquitter à sa place de la charge épiscopale. Et à la place de celui-ci qui n’exerça que pendant une année et s’endormit aussitôt dans le Christ, il nomma un des siens, celui qu’on appelait Tigernomaglus, qui exerça lui aussi pendant un an et un jour, et s’endormit dans le Seigneur. »

Jaoua est donc, après Saint Paul, le deuxième évêque de l’évêché de Saint-Pol-de-Léon.

Vie de Saint Jaoua écrite au XVII° siècle par Albert Le Grand

 

Albert Le Grand est un hagiographe breton, frère dominicain, né à Morlaix en 1599 et décédé en 1641 à  Rennes. Il fait profession au couvent de Rennes, avant de se voir assigné à celui de sa ville natale en 1622 ou 1623. Né Jean Le Grand, il choisit lorsqu’il entre dans les ordres de se placer sous le patronage d’Albert Le Grand béatifié précisément en 1622. Ses écrits, consacrés à la matière hagiographique et historique bretonne, souvent jugés trop légendaires, connaissent un grand succès. Il est surtout connu pour sa « Vie des saincts de Bretagne Armorique », publiée en 1637 et pour laquelle il utilise notamment des manuscrits anciens disparus par la suite. Il y raconte avec force détails la vie de Saint Jaoua.

Ainsi, selon Albert Le Grand dans sa vie de Saint Jaoua, celui-ci serait né en Irlande vers l’an 500.

« Saint Jaoua ou Jovin fut Hibernois de nation, oncle du prince Tinidorus, père de Saint Ténénan ; sa mère était la propre sœur de Saint Paul Aurélien, premier Evêque de Léon, à l’école duquel la bonne dame envoya son fils Jaoua, en l’Ile de Bretagne (= Grande-Bretagne), où il employa si bien le temps que, peu d’années plus tard, il devint parfait philosophe et bon théologien. Son cours achevé, il fut rappelé par ses parents au pays ; obéissant, il prit congé de Saint Paul son oncle, et se rendit chez son père, lequel le voyant si sage et bien appris, se mit en devoir de lui trouver parti et le marier avantageusement ; il le vêtit somptueusement lui donnant train et suite et lui faisant hanter les compagnies pour s’avancer et se faire voir ; mais le saint jeune homme, prévenu de l’amour de Dieu, avait ces vanités à contre-coeur, bien que, pour ne pas contrister ses parents, il fit du mondain et jovial, bien qu’en son âme il fit résolution de quitter tout et suivre Jésus-Christ, embrassant l’état de religieux ».

Plus loin, Albert Le Grand raconte l’arrivée de Jaoua en Armorique (= Bretagne)

« Sur ces entrefaites, il reçut des lettres de Grande-Bretagne, disant que son oncle Saint Paul et douze bons prêtres avaient passé la Mer (=la Manche) et étaient allés demeurer en la Bretagne Armorique et avaient pris terre en l’Ile d’Ouessant ; il se résolut aussitôt de se transporter vers lui et quitter son pays et ses parents. Il fait équiper un vaisseau, et, un matin, feignant de s’en aller promener, sort avec deux de ses serviteurs, s’embarque et fait voile vers Ouessant. Mais, sitôt qu’ils l’eurent découverte, s’éleva un furieux vent d’Est-Nord-Est qui les jeta hors d’Ouessant, si loin de leur route qu’ils ne savaient où ils étaient. Mais, ce vent calmé, ils approchèrent de terre et furent jetés à travers le golfe de Brest jusque dans la rivière du Faou, où ils mirent pied à terre. Et, entrant dans le bourg, firent rencontre de Saint Judulus, abbé de Landévennec, lequel les salua humainement ; et, ayant su qui ils étaient et pour quelle fin ils étaient venus, les fit rentrer dans leur vaisseau, y monta lui-même et les mena à son abbaye, où, Saint Jaoua, ayant demeuré quelque temps, congédia ses serviteurs, demanda l’habit de religieux et fut vêtu par Saint Judulus ».

En résumé, Albert Le Grand écrit que dans cette région, il se trouva un chef à qui la chose ne plut pas et qui massacra l’abbé de Landévennec et un autre moine venu aider Jaoua. Dieu punit ce persécuteur et tout le pays du Faou fut terrorisé par un animal monstrueux, tant et si bien que Jaoua eut recours à son oncle Pol Aurélien. Pol s’y rendit, parvint à dompter l’animal qu’il amena encordé jusqu’à l’île de Batz pour en débarrasser le pays. Mieux ! Il convertit le chef, le baptisa, lui demanda de fonder un monastère à Daoulas, à l’endroit du double meurtre. C’est Jaoua qui en aurait été le premier abbé.
Jaoua quitta l’abbaye de Daoulas au bout de quelques années pour répondre à Pol Aurélien, évêque, qui se sentait vieillir et avait besoin d’aide. Il l’assista quelques mois comme co-évêque puis Pol démissionna. Jaoua lui succéda comme évêque du Léon pendant deux années. Quelque temps après, une famine se déclara dans le pays du Faou. Les gens de là-bas l’appelèrent au secours. Jaoua vint sur place et par ses prières, obtint la fin du fléau.
Albert Le Grand termine son hagiographie en affirmant que Saint Jaoua en rentrant par Brasparts, y mourut le 2 mars 554, puis qu’il fut enseveli à Saint Jaoua en Plouvien.

Ce texte ne reprend guère les éléments que l’on trouve dans «  La Vie de Saint Paul Aurélien » écrit par Wrmonoc, sinon que Jaoua fut évêque de Saint-Pol-de-Léon.

Vie de Saint Jaoua selon Bernard Tanguy

Bernard Tanguy est né en 1940 à Laniscat ( 22 ) et est décédé en 2015 à Brest ( 29 ). Eminent historien et linguiste chargé de recherches au CNRS ( Centre National de Recherche Scientifique ) et au CRBC ( Centre de Recherche Bretonne et Celtique ), enseignant à l’Université de Brest, il est spécialiste du Haut Moyen-Age. Ses champs de recherche concernent la Bretagne sous différents aspects : l’histoire et la civilisation, la toponymie et anthroponymie, l’hagiographie et l’hagionomie, l’histoire religieuse.
 
En 2004, il a écrit un texte dans le livre « Corona Monastica. Moines Bretons de Landévennec. Histoire et moine celtiques » et intitulé « Vie de Saint Jaoua selon A. Le Grand »pour les Presses Universitaires de Rennes.
Il y fait une étude critique de la vie de Saint Jaoua telle que Albert Le Grand l’a écrite dans son hagiographie et s’attache à démontrer des ajouts, des imprécisions, voire des erreurs.
Il conclut en disant : 
« Que retenir de la vie de Saint-Jaoua, sinon qu’il s’agit d’un texte composite qu’Albert Le Grand a, fidèle à son habitude, retouché en y introduisant des éléments de son cru, notamment certaines précisions géographiques, voire certains développements, comme les circonstances de la fondation de l’abbaye de Daoulas car, pour être sans doute très abrégée, la version du Bréviaire du Léon, qui mentionne les meurtres de Tadec et Judulus, ne les relie pas à la fondation de l’abbaye dont elle ne dit mot . De là à penser qu’il s’agit d’une extrapolation du dominicain, il n’y a qu’un pas.Mais dans ce cas, il reste alors des questions non résolues. Trouveront-elles un jour une réponse ?